Par Éric Darier, Réseau québécois contre les OGM
et Lucy Sharratt, Réseau canadien d’action sur les biotechnologies
En plein été, sans tambour ni trompette, les gouvernements américain et canadien annonçaient récemment l’autorisation d’un nouveau maïs OGM de Monsanto et de Dow, le « SmartStax », comportant huit gènes empilés : deux de résistance à des herbicides et six produisant des insecticides. Une première!
Cependant, Santé Canada n’a même pas procédé à l’évaluation de la salubrité de ce nouveau maïs OGM SmartStax. La seule annonce du gouvernement provient de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) qui, en quelques centaines de mots appuyés sur aucune étude scientifique, annonce laconiquement l’autorisation du maïs OGM SmartStax. Au lieu de reconnaître l’impératif d’interrompre l’introduction du SmartStax de Monsanto jusqu’à ce que des tests scientifiques soient effectués, les institutions publiques comme l’ACIA et Santé Canada avalisent la décision. Qui plus est, en donnant son aval au SmartStax, le Canada a carrément fait fi de la directive internationale du Codex des Nations Unies concernant la nécessité de procéder à des tests.
Dans une communication uniquement destinée aux journalistes, Santé Canada affirme que la Directive internationale du Codex ne fait aucunement mention de « caractères empilés ». Cependant, la Directive internationale fait explicitement référence aux méthodes classiques de sélection des végétaux à ADN recombiné puisqu’il s’agit précisément de la manière dont les végétaux OGM de type SmartStax sont fabriqués. Santé Canada devrait être au courant de ces techniques. Si Santé Canada est dans le brouillard, nous nous ferons un plaisir d’expliquer aux autorités réglementaires les aspects scientifiques et les détails techniques liés à cet enjeu, et de les conseiller sur la manière de réformer notre système réglementaire.
Le problème avec Santé Canada et d’une manière générale avec le gouvernement, est que les règlements qu’ils appliquent aux aliments OGM, qu’ils appellent « aliments nouveaux » (une catégorie incluant aussi des aliments non OGM), se bornent délibérément à évaluer la salubrité des « caractères nouveaux ». Puisque Santé Canada a antérieurement approuvé les huit caractères actuellement présents dans le SmartStax, le système est absolument incapable de déceler quoi que ce soit de nouveau dans les cultures munies de ces huit caractères OGM. Cependant, les scientifiques, le principe de précaution et le Codex nous disent qu’il en va autrement.
Le Codex va même jusqu’à dire que des effets involontaires pourraient apparaître suivant l’utilisation des cultures dotées de caractères empilés. C’est pourquoi, en adhérant au Codex, plusieurs gouvernements, dont celui du Canada, ont convenu qu’une évaluation complète de la salubrité des cultures OGM à caractères empilés s’impose. Santé Canada elle-même admet dans les faits que des effets imprévus peuvent survenir, sauf qu’elle n’est tout simplement pas consentante à prendre les mesures de précaution nécessaires. Sa position consiste à dire : « Si quelque chose d’imprévu apparaissait, l’entreprise aurait l’obligation de fournir les informations nécessaires à Santé Canada ». Se fier à des entreprises comme Monsanto, engagées dans la distribution commerciale du SmartStax, pour qu’elles fournissent des renseignements liés à la sécurité des aliments, revient à charger le renard de surveiller le poulailler.
Puisque les nouveaux OGM à caractères combinés semblent à première vue constituer un enjeu aride, difficile à saisir pour la population, Santé Canada espère que personne n’y fera attention. Nous pensons au contraire que les citoyens vont se préoccuper de cette question, spécialement dans le contexte de la crise de la listériose et de la grippe aviaire.
La réglementation de Santé Canada entourant les « aliments nouveaux » a été sciemment conçue pour que les cultures OGM semblables au SmartStax n’aient pas à passer des évaluations scientifiques rigoureuses. Le SmartStax n’a pas été évalué par Santé Canada parce que, selon les règlements laxistes en vigueur au pays, la combinaison dans une céréale de huit gènes empilés ne constitue pas un « aliment nouveau ». Cependant, selon le Codex, Santé Canada devrait entreprendre une évaluation complète.
La génomique est une science complexe qui évolue vite, mais dont Santé Canada n’a jamais pu ou voulu suivre les développements. Santé Canada et l’ACIA ne se sont jamais vraiment mesurés aux défis spécifiques liés aux OGM. En instaurant un processus d’autorisation des produits qui se borne à évaluer la « nouveauté » des caractères OGM plutôt que les complexités de la génétique, le gouvernement fédéral s’est doté d’un outil lui permettant d’autoriser plus rapidement les OGM, ce qui est tout bénéfice pour des entreprises comme Monsanto. Mais, dans le cas du SmartStax, les ministères concernés sont même allés à l’encontre de leur propre réglementation pourtant déjà laxiste.
Un débat démocratique n’a jamais précédé l’autorisation des cultures et des aliments OGM au Canada, il n’existe aucun étiquetage obligatoire des ingrédients OGM, et en dépit des 58 recommandations destinées à changer la situation, publiées par le Rapport du Groupe d’experts scientifiques de la Société Royale du Canada en 2001, le gouvernement n’a jamais cherché à réformer notre système réglementaire. Qu’est-ce que Santé Canada attend pour assumer ses responsabilités? Une autre crise sanitaire, provoquée cette fois par la dissémination d’aliments OGM non testés? Il est évident que le moment est venu de réviser à grande échelle la réglementation des OGM.
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