PPP autoroutiers et environnement : l’État abandonne ses responsabilités

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Par Julie McCANN, avocate et chercheure-associée à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement,
avec la collaboration de Billy Pommet et Stéphane Verreau-Verge, tous deux étudiants au baccalauréat en droit à la Faculté de droit de l’Université Laval.


 

Mots-clés : PPP, autoroute 25, étude d’impact, évaluation environnementale, BAPE  

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Le litige entourant le prolongement de l’autoroute 25

En juin 2008, le Conseil régional de l’environnement de Montréal, Équiterre et Greenpeace ont contesté en justice la validité du décret qui autorisait le projet de prolongement de l’autoroute 25 (1). Rappelons qu’au moment où le décret a été adopté, le partenaire privé n’était pas encore désigné, que l’étude d’impact avait été réalisée alors que les plans et devis n’étaient pas déterminés et que le certificat d’autorisation avait été émis en faveur du ministre des Transports qui l’a par la suite cédé au concessionnaire privé. Le recours ayant échoué, le projet est donc allé de l’avant. Cette décision laisse perplexe sur plusieurs aspects et nous amène à penser que l’attribution des contrats de PPP a pour effet de déresponsabiliser l’État de ses obligations en matière d’environnement.

 

Le processus menant à la conclusion d’un PPP : une chronologie déficiente

Le long processus menant à la conclusion d’un PPP fait qu’il se distingue du traditionnel mode par « appels d’offres » : dans le PPP, les éventuels partenaires privés sont activement impliqués dans l’élaboration et la conception des projets. Cinq principales étapes mènent à la conclusion d’un PPP :

  • Le choix de procéder par PPP – cette première étape concerne la décision politique de procéder par PPP;
  • La politique d’évaluation et de comparaison du mode d’approvisionnement retenu – où une analyse de la valeur ajoutée est faite de manière à démontrer que ce mode d’approvisionnement est avantageux financièrement;
  • La mise en concurrence : à cette étape, le ministre des Transports procède à :

1. l’appel de qualification, où un nombre restreint de candidats démontrant des aptitudes techniques et financières suffisantes sont sélectionnée, puis

2. l’appel de propositions, où il invite les candidats présélectionnés à soumettre leur proposition quant aux plans et devis du projet à être entrepris.

  • Les autorisations gouvernementales : c’est à ce moment que les autorisations doivent être obtenues, dont notamment l’obtention d’un certificat d’autorisation environnementale auquel sont assujettis les projets d’infrastructure autoroutière (2);
  • Le choix du partenaire et la signature de l’entente de PPP.

 

Ce n’est qu’à la cinquième étape du processus, au moment de signer l’entente de partenariat, que l’on est réellement en mesure de connaître l’ampleur du projet envisagé, la version définitive des devis de construction et les obligations respectives des parties au titre du respect des normes environnementales. Le souci de laisser un maximum de latitude au concessionnaire privé implique que le choix du partenaire ne se fasse qu’après que les certificats d’autorisation aient été émis; le projet soumis à la procédure d’impact n’est donc pas définitif. En mode conventionnel, la portée du projet est définie au moment de la procédure d’appel d’offres. Cette problématique est donc propre aux PPP.

 

La procédure d’étude d’impact : étudier une page blanche

La procédure d’étude d’impact a pour but de mieux déterminer les possibles conséquences nuisibles sur l’environnement, tout en permettant éventuellement aux citoyens de participer au processus en formulant des recommandations. À la suite de cette évaluation, le certificat d’autorisation du projet pourra être délivré. Trois objectifs sous-tendent la préparation d’une étude d’impact par le promoteur : fournir une image globale et complète du projet envisagé, informer le public quant à l’étendue et la nature du projet ainsi que de ses conséquences sur leur qualité de vie et permettre une analyse environnementale scientifique du projet de façon à fournir l’information préalable à son autorisation (3).

Le ministre de l’Environnement indique au promoteur (le ministre des Transports) le type d’étude d’impact qui doit être faite. Cette étude est par la suite rendue publique et des séances d’information et une consultation publique du Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pourront avoir lieu.

La Loi ne fait pas de distinction entre un projet réalisé en mode conventionnel ou en PPP; on remarque toutefois qu’en pratique, l’étude d’impact d’un PPP est nécessairement incomplète puisqu’elle repose sur des hypothèses, les plans définitifs n’étant encore que des scénarios. Dans le cas du prolongement de l’autoroute 25, le promoteur n’a produit que des formes possibles de projets pour compléter l’étude d’impact; des plans et devis détaillés n’ont donc pas pu être produits et les impacts environnementaux n’ont pas fait l’objet d’un examen. Il manquait notamment des informations essentielles concernant le drainage de l’emprise, les techniques de construction en rivière, le transport en période de construction, etc.

 

La procédure de consultation publique : des questions sans réponse

La consultation publique, encadrée par le BAPE, permet en principe à la population de questionner l’exécutant ainsi que le promoteur quant au projet et de le commenter. Le BAPE recueille les points de vue de toute personne intéressée par le dossier dans le but de mieux cerner les enjeux découlant du projet. À la suite de la procédure de consultation, le BAPE produit un rapport qu’il soumet au ministre de l’Environnement. Ce rapport fait la synthèse du processus de consultation puis s’ensuivent des recommandations quant au projet, aux possibles mesures d’atténuation et aux questions demeurées sans réponses. Un des objectifs de l’audience publique est notamment de permettre de proposer des mesures d’atténuation.

Lorsque le projet est réalisé en mode PPP, il ressort de cela que la consultation publique se fait à partir d’un projet incomplet, dont on ne connaît pas encore les tenants et aboutissants et d’une étude d’impact, elle aussi, préliminaire. De plus, à cette étape, l’identité de l’exécutant, soit l’entreprise retenue au terme du processus d’appel de propositions n’est pas encore connue. Il semble donc que l’audience publique perde de sa raison d’être, car ni le BAPE ni le promoteur ne sont en mesure de répondre aux questions formulées par les citoyens, ni de connaître l’intention de l’exécutant des travaux quant à certains aspects ayant des conséquences environnementales.

Dans le cas du parachèvement de l’autoroute 25, plusieurs questions fondamentales sont restées sans réponses. par exemple , quelle sera la modification du climat sonore? Quel est l’impact écologique du pont sur la faune aquatique? Quelle sera la quantité de déblai produite? Qui sera titulaire du certificat d’autorisation, le ministre des Transports ou l’éventuel concessionnaire? Quel sera l’impact de la construction sur la qualité de l’eau des ruisseaux ambiants?

Étant donné le problème soulevé quant à l’insuffisance d’informations au moment de la procédure d’évaluation, l’étape de la consultation publique voit sa portée fort limitée, car le public concerné doit donner son avis sur un projet non seulement équivoque, mais aussi incomplet.

De l’avis du BAPE, cette inadéquation de la procédure pourrait être corrigée. Il suffirait que le ministre responsable du projet donne les indications nécessaires sur les méthodes de construction, la conception des infrastructures ou les mesures d’atténuation et qu’il soit loisible au futur concessionnaire de proposer, par la suite, des solutions novatrices équivalentes ou, même, supérieures sur le plan technique et environnemental.

 

L’octroi du certificat d’autorisation : lorsque le gouvernement est juge et partie

Après la tenue des audiences publiques et la production du rapport du BAPE, s’il juge l’étude d’impact satisfaisante, le ministre la soumet au Conseil exécutif, pour décision finale quant à la délivrance du certificat d’autorisation environnementale. La décision d’émettre le certificat sera prise à la lueur des documents déposés. Il faut absolument mentionner qu’a priori, rien dans la loi ne semble empêcher le ministre des Transports (qui agit à titre de promoteur du projet) de prendre part à cette réunion.

Le fait qu’un projet soit réalisé en mode PPP ne change pas la portée de la procédure d’octroi d’un certificat d’autorisation. La principale différence concerne l’identité du promoteur et donc, de celui qui fera la demande de certificat d’autorisation et en sera ultimement titulaire. Dans le cas d’un PPP d’infrastructure autoroutière, le promoteur du projet est le ministre des Transports. C’est donc le ministre des Transports qui présente la demande de certificat d’autorisation au ministre de l’Environnement… le tout autorisé par le gouvernement, qui veut manifestement mettre en œuvre sa politique et dont font partie les deux ministres intéressés…

Puisque le certificat est émis avant que tous les détails du projet aient été déterminés, il est justifié de se demander à quel point le promoteur du PPP (ministre ou organisme public) sera porté à exercer son pouvoir de surveillance des chantiers dans le but de s’assurer de la conformité des travaux. Le ministre a le pouvoir de révoquer des certificats, notamment si leurs conditions ne sont pas respectées, mais dans un contexte où le ministre des Transports est le promoteur du projet et qu’il est titulaire du certificat d’autorisation, il y a fort à parier que cette prérogative ne sera jamais exercée… le ministre de l’Environnement sanctionnerait le ministre des Transports!

 

Conclusions

De tout ce qui précède, il ressort que la Loi sur la qualité de l’environnement et toute la procédure d’examens d’impact et de minimisation des effets que les projets de construction d’infrastructures autoroutières peuvent avoir sur l’environnement n’est pas adaptée aux projets construits en mode PPP. Un allègement marqué des contrôles préalables de l’étude d’impact rend inefficace la tenue des audiences publiques. Compte tenu des étapes d’élaboration d’un PPP, l’évaluation environnementale et les audiences publiques, tel qu’elles se réalisent actuellement, ne respectent pas les finalités de la Loi qui énonce un « droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent (4) ». De plus, le large pouvoir discrétionnaire attribué aux autorités gouvernementales dans l’émission des certificats environnementaux n’est pas sans danger, surtout lorsque l’on considère que le titulaire du certificat d’autorisation sera le ministre des Transports et non pas le partenaire privé. Dans ce contexte, le mode de gestion par PPP a pour effet d’entraîner une certaine déresponsabilisation de l’État de ses obligations en environnement.

 


 

Par Julie McCANN, avocate et chercheure-associée à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement

Julie Mccann est avocate et doctorante à l’Université McGill. Sa thèse porte sur le droit des contrats de partenariat public-privé. Elle est aussi chercheure-associée à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement.

 


Sources :

(1) Conseil régional de l’environnement de Montréal c. Québec (Procureur général), 2008 QCCS 2391.

(2) Le Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement, assujettit « la construction, la reconstruction ou l’élargissement, sur une longueur de plus de 1 km, d’une route ou autre infrastructure routière publique prévue pour 4 voies de circulation ou plus ou dont l’emprise possède une largeur moyenne de 35 m ou plus, à l’exception de la reconstruction ou de l’élargissement d’une telle route ou infrastructure routière dans une emprise qui, le 30 décembre 1980, appartient déjà à l’initiateur du projet; » à la procédure d’étude d’impact, (2007), 40 G.O. II, 3899.

(3) Directive 025 sur les études d’impact sur l’environnement, dans Politiques et directives de l’environnement au Québec, Brossard, Publications CCH Ltée, 2006, p. 28, 011, section 4.1.

(4) Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q. c. Q-2, art. 19.1.

 


Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse
et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval,
dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux avec rigueur et pertinence.
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